Dans les coulisses d'un exorcisme

  • À Ligardes dans le Gers, Pierre Dulong, « guérisseur et exorciste » se livre à des séances de désenvoûtement.
    À Ligardes dans le Gers, Pierre Dulong, « guérisseur et exorciste » se livre à des séances de désenvoûtement. Photo DDM, Morad Cherchari
Publié le , mis à jour
Jérôme Schrepf, Guillaume Atchouel

Vidéo -- Le diable est-il de retour ? Dans les campagnes, en ville, des guérisseurs et des exorcistes prétendent délivrer les possédés du Mal. Récit d'une séance d'exorcisme à Ligardes, dans le Gers.

«Quita ! (1) » Karine se redresse violemment pour s'asseoir sur la table matelassée où elle était allongée il y a encore un instant. Bouche ouverte comme pour mordre le crucifix d'argent placé devant son visage, elle vient d'éructer en Espagnol, langue qu'elle ne parle habituellement pas.

La scène se déroule vendredi soir dernier, à Ligardes, dans le Gers, au sein du cabinet de Pierre Dulong, « guérisseur et exorciste », reconnu par l'église gallicane. La jeune femme, 19 ans, coiffeuse dans le Marmandais, en est à sa quatrième séance depuis la fin août, amenée par son père qui vient consulter depuis une quinzaine d'années pour des maux bénins. Le guérisseur, d'un coup de pendule, a eu tôt fait de déceler l'origine de son mal-être : « Elle est possédée par le démon ». Le diagnostic posé, le remède coulait de source : l'exorcisme.

Cris, bave et convulsions

Depuis une bonne vingtaine de minutes maintenant Karine, courts cheveux noirs, visage doux, presque poupin, est en transe. Elle pousse des grognements, des cris, bave, crache, se débat, convulse, les yeux ronds, le regard perçant. Ils sont cinq autour de la table, agrippés à ses jambes, ses bras, ses épaules, à tenter de la maintenir allongée. Cinq dont son père, Bernard, et son oncle, Christian (2). Une sixième, Thérèse, essuie sans discontinuer l'écume de ses lèvres.

Sur le matelas, Karine grogne comme une bête. Tout à l'heure, dans le vestibule, elle ne pipait mot, regardait par en dessous, les yeux fixes. Allongée, elle n'a pas tardé à « s'endormir », avant que ses yeux ne se révulsent, que sa respiration s'accélère, qu'elle soit prise de tremblements. Pierre Dulong, vêtu d'une chasuble blanche, s'était saisi d'un crucifix, d'une petite vierge et mis à lire « Prières merveilleuses » de l'abbé Julio, puis « Grands secrets merveilleux ». Pendant toute la séance il récite, invoque, lit, psalmodie

Les « Pater » succèdent aux « Ave ». L'exorciste jette de l'eau bénite sur la jeune fille, trace des croix sur son ventre, son front, sa poitrine. Elle grogne, hurle. Des borborygmes, rien de compréhensible en dehors de ce trait d'espagnol. Puis se calme tout à fait, se rendort. Bouge un bras. Doucement. Ouvre les yeux, sourit. « ça va ? », demande Pierre Dulong. « Oui, beaucoup mieux », répond-elle dans un sourire apaisé.

« Depuis deux jours elle était mal », reprend Bernard. « Elle n'a pas pu aller au travail. ça devient compliqué, elle a déjà manqué il y a 15 jours. Pour l'instant son patron est compréhensif… » Compréhensif mais pas dans la confidence : « Je ne peux pas lui dire », explique Karine. « Il ne comprendrait pas, me mettrait à la porte. »

Le cabinet ne désemplit pas

Croyante, la famille porte sa croix. La mère, sortie en pleurs 15 jours plus tôt, n'est pas revenue : « C'est terrible de voir sa fille comme ça, ça fait mal », souffle Bernard, dévasté. « Mais maintenant, on a un espoir, un but. On sait qu'elle est possédée, que Pierre va l'aider. Qu'elle ira mieux après. »

Tapissé d'images pieuses, de crucifix, de vierges et de saints, saupoudré de poussière d'encens, parfumé au feu de bois qui crépite dans la cheminée tout au long de l'année, l'étrange cabinet ne désemplit pas. « On attend cinq ou six heures en moyenne », racontaient tout à l'heure, dans l'entrée, Thérèse et Christian, venus eux, depuis les environs de Toulouse, pour un désenvoutement. Il n'est pas rare que les « patients » arrivent la veille, attendant la nuit dans la voiture que les consultations débutent.

Pierre Dulong, installé depuis 30 ans, chez lui, à Ligardes (Gers), assure qu'il pourrait faire « trois ou quatre » exorcismes par semaine : « Je l'ai eu fait, je ne veux plus, c'est trop éprouvant. Et puis, je risque ma peau là, moi aussi… Mais c'est vrai qu'en ce moment, il y a de plus en plus de cas de possession, c'est spectaculaire. »

Jérôme Schrepf

(1) « Dégage ! »

(2) Les prénoms des protagonistes ont pu être changés.

« Rester dans la croyance qu'on est possédé, c'est se déresponsabiliser et attribuer à une puissance extérieure la cause de vos malheurs. » Fernand Sanchez, responsable du service « Écoute et exorcisme » du diocèse d'Agen.

Vidéo : Dans les coulisses d'un exorcisme

Dans les coulisses d'un exorcisme

Le chiffre : 25 000

Demandes > D'exorcismes par an. C'est le chiffre avancé par l'église catholique. À raison d'un prêtre exorciste par diocèse, les 92 exorcistes de l'église ont du pain sur la planche.


Pour l'église catholique, « des cas rarissimes »

Fernand Sanchez est médecin retraité, diacre et à ce titre, responsable du service « Écoute et exorcisme » du diocèse d'Agen. « Cela fait 7 ans maintenant que nous avons mis en place cette structure composée de 12 bénévoles. Parmi elles, un prêtre et un psychiatre. Nous tenons des permanences, le jeudi après-midi. C'est vrai, nous avons énormément de demandes d'exorcismes. Deux à trois chaque semaine. Mais c'est rarissime qu'on finisse par y procéder. » Pour le diacre, les personnes qui sont en demande d'exorcisme ont d'abord besoin de parler, de se confier : « Elles ont souvent des blessures anciennes. Elles sont allées consulter un médecin, un psychiatre, peut-être un guérisseur. La demande d'exorcisme n'a en fait rien à voir avec la foi, mais avec la croyance en une puissance susceptible d'en combattre efficacement une autre. Elles se sont persuadées qu'on leur a jeté un sort, qu'elles sont possédées. Ce mécanisme est imparable : ce n'est pas de votre faute si vous avez des problèmes, tout vient d'un élément extérieur contre lequel vous êtes impuissant. Alors tout votre passé est relu à travers cette grille d'envoûtement. Entretenir la croyance selon laquelle une personne est possédée la déresponsabilise. Car le coup de goupillon et les imprécations ne vont pas les dispenser d'un chemin difficile. » Les échanges du jeudi donnent aux écoutants un premier aperçu : « On leur propose de revenir, de consulter un psychothérapeute, ou parfois d'aller voir un psychiatre car un traitement médical s'impose. » Pour Fernand Sanchez, les exorcistes parallèles peuvent être dangereux car pour leurs patients leur parole a autorité : « Et elle leur ôte tout libre arbitre ». L'église catholique, elle, a, dans chaque diocèse un prêtre exorciste. En 7 ans, le frère Sanchez ne conserve pas le souvenir d'un cas qui ait, au final, nécessité l'emploi de crucifix et autre litanie. Ite missa est.

J.Sch.


«Ce n'est pas scientifique»

Daniel Ajzenberg, expert psychiatre.

Dans ces pratiques de guérison quelle est la dimension psychologique ?

« Il s'agit de comportements magiques qui n'ont aucun fondement scientifique. La part psychologique est bien sûr importante. Si l'on y croit, la pratique a un effet placebo. Elle peut libérer quelqu'un d'un symptôme d'origine psychosomatique. Mais, s'il s'agit d'une fracture d'un membre, par exemple, ça ne marche jamais.

Ces rituels peuvent-ils être dangereux ?

Les sujets qui croient à ses rituels libérateurs sont souvent fragiles, avec peu de sens critique et peuvent donc être manipulés. C'est d'ailleurs là que s'engouffrent les charlatans, les escrocs. Il arrive que la justice les poursuive pour escroquerie lorsqu'ils demandent des sommes exorbitantes. Sinon, s'il n'y a pas prise de substance toxique ou de manipulation, c'est inoffensif.

Certains entrent en transe durant ces séances

Oui. ce sont surtout des femmes qui ont une structure hystériforme. Leur corps traduit alors une émotion qui devrait passer par la parole ».

Recueillis par Guillaume Atchouel

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Les commentaires (12)
Il y a 12 années Le 11/10/2011 à 22:24

j'crois pas au père noël, mais...
Désolé mais il faut bien admettre que des choses inexplicables existent:
Les milliers de cas de NDE, avec détails vérifiés!!!
Tous les services de grands brûlés font appel à des magnétiseurs/ barreurs de feu, étrange! Même le corps médical admet leur efficacité (les patients magnétisés obtiennent les meilleurs résultats)
Et ne me parlez pas d'effet placebo...

papillon 11 Il y a 13 années Le 23/10/2010 à 00:28

croyez croyez pas
faites ce que vous voulez mais je pense que c'est une façon de soigner sans medicaments sans vous drogues mais si vous préférer la toxicomanie continuez à aller voir un psychiatre quand vous êtes en dépression
Pauvres gens qui ne croyez en rien dommage pour vous
Moi j'ai vu petite des gens piquer les poupees alors pourquoi pas et chaque fois qu'une poupée était piquée il arrivait qulque chose à la personne ça se passait chez l'ex femme à mon père et quand mon père est dcd elle m'a souhaite tous les malheurs du monde elle a réussi je suis handicapée à 40 ans
Les gens méchants sont dans tous les pays

Octave Hairgébel Il y a 13 années Le 22/10/2010 à 20:43

Non, mais...
dans quelle misère il faut être pour en arriver là...

Quelle tristesse, quel monde de cinglés sommes-nous en train de préparer à nos enfants et aux enfants de nos enfants ?!

Nous avions cru à l'apogée de la science, au libre-arbitre et à l'intelligence, et nous voilà replongés par quelque cureton cherchant à remettre en selle une religion à l'abandon dans les siècles les plus obscures de notre histoire récente !!!

Il faudrait quand même songer à réagir, et à ne pas se laisser influencer par ces Américains qui répètent "Mon Dieu" à chaque phrase, qui font un scandale pour une meuf en slip, qui disent que la Genèse est la fidèle transcription de la création du monde, que croire en un dieu peut se comprendre, mais qu'il est inadmissible de l'imposer à son prochain,.... j'arrête là, je crois que je vais m'énerver !

Il faudra bien un jour leur redresser à nouveau les idées, à toute cette clique de guignols !